Lily rentrait tard cette nuit-là. Elle avait été de travail en soirée et n'avait donc terminé son service qu'à deux heures moins le quart. Il lui avait ensuite fallu encore une dizaine de minutes pour rejoindre la maison en voiture, ce qui faisait qu'il était près de trois heures du matin lorsqu'elle referma doucement la porte. Elle n'avait pas envie de réveiller Gabrielle qu'elle savait dormir d'un sommeil léger, surtout lorsqu'elle rentrait aussi tardivement du travail et cela même si celle-ci s'en défendait farouchement. Son petit ange sur Terre... la rouquine ne voulait surtout pas la priver du précieux sommeil qu'il lui tardait, elle aussi, de rejoindre. Allan aussi avait le sommeil léger et c'était encore pire depuis qu'il n'arrivait plus à écrire une ligne. Irascible au possible au quotidien, il serait encore plus insupportable pendant trois jours si elle avait le malheur de le réveiller. Heureusement, Lily avait toujours été capable de se mouvoir aussi discrètement qu'une petite souris. Peu importe que cet animal lui fasse dresser les poils ou non, elle ne pouvait trouver meilleure comparaison... Quoiqu'une souris puisse être très bruyante quand elle le voulait. Lily, elle, même lorsqu'elle n'y prenait pas garde, était très discrète. Alors, en s'appliquant comme elle le faisait, il n'y avait aucune chance qu'elle réveille qui que ce soit.

Combien de fois, dans son adolescence, avait-elle inquiété sa mère qui ne l'avait pas entendu rentrer de soirée. Elle avait donc pris l'habitude de laisser son sac ou ses chaussures traîner près de la chambre parentale pour que celle-ci sache immédiatement que son enfant était à la maison quand elle se réveillerait. Désormais, la jeune femme n'avait plus besoin d'avoir ce genre de petites attentions. Allan la laissait libre de ses mouvements, libre de rentrer ou non à la maison, tant qu'elle ne disparaissait pas sans laisser de traces pendant plusieurs jours. Pourtant, depuis qu'elle avait emménagé chez son oncle, Lily n'avait jamais découché... Bon d'accord, peut-être une ou deux fois, mais pas plus. En tout cas, elle rentrait toujours très tôt le matin pour être sûre d'être présente quand Gabrielle se réveillerait. C'était sa sœur, plus que n'importe qui, qui s'inquiétait de ne pas la savoir dans son lit pendant la nuit.

Alors qu'elle se dirigeait vers l'escalier pour monter à sa chambre, ses chaussures et son sac à la main, la jeune McArthur fut attiré par une lumière à sa droite. Elle tourna la tête et vit qu'une lampe était allumée dans le bureau de la maison, devenu l'espace de travail d'Allan depuis leur emménagement. Toujours aussi discrètement, elle s'y rendit pour l'éteindre, ne remarquant qu'au dernier moment que son oncle était avachit derrière ledit bureau, profondément endormi. Il avait dû travailler pendant des heures avant que la fatigue ne le gagne. Des tas de papiers froissés débordaient de la poubelle. Curieuse, elle regarda sur le bureau, mais ne vit aucune des habituelles ébauches de livres qu'elle avait pu voir les rares fois où elle avait rendu visite à son oncle avec ses parents dans son enfance. Dommage, son mal ne semblait pas s'arranger. Ce qui signifiait qu'il serait fatigué et mécontent au réveil. Heureusement qu'elle avait prévu de passer la journée dehors à arpenter des coins encore inexplorés de l'île.

Craignant de réveiller Allan si elle touchait à la lampe, Lily fit demi-tour, sur la pointe des pieds, prête à quitter le bureau sans demander son reste.

La rouquine se figea en entendant les mots de son oncle. Combien des hommes de cette espèce osait dire de telles choses à leur nièce ? Certainement pas beaucoup. Mais il faut dire qu'Allan McArthur était aussi bon « tonton » que son amour de père était vivant... enfin peut-être pas jusque là, mais au panthéon des chefs de familles, l'aîné des McArthur n'y gagnerait certainement pas la palme. « J'aime comment tu parles de mon cul, grincheux », railla la rouquine en se tournant vers son oncle. « Au moins on est tranquille, mon père ne se retournera pas dans sa tombe en voyant combien tu es un parfait petit tonton. »

Elle choquait souvent les gens en parlant aussi froidement et crûment de ses parents, de leur mort ou de leur cadavre, mais c'était aussi et surtout une manière pour elle de se protéger de tout ça. Depuis le premier jour, elle en parlait comme d'une chose lointaine et qui était arrivé à quelqu'un d'autres. Depuis qu'elle avait dû l'annoncer, avec le plus de douceur possible, à sa petite sœur. Ça avait été l'unique fois où elle avait pesé et mesurer chaque mot. Après ça, elle n'en avait plus que parler comme elle le faisait maintenant. C'était toujours plus facile pour elle que d'en parler comme du drame de sa vie, ce que ça avait vraiment été.

Elle prit une chaise pour s'asseoir face à son oncle, de l'autre côté du bureau. S'appuyant sur le dossier, elle jeta ses chaussures au sol et posa ses pieds sur le bois vernis du meuble en soupirant. « Je sais qu'on a pas trop de soucis d'argent grâce à tes royalties, mais tu serais cap de me foutre à la rue si je participais pas financièrement. » En fait, elle savait parfaitement qu'il ne le ferait pas. Gabrielle était encore trop jeune pour finir à la rue comme ça et il n'aurait jamais osé séparer les deux soeurs en fichant l'aînée à la porte. C'était elle qui se sentait redevable, qui avait besoin de travailler, de gagner son propre argent et de participer autant que possible à l'achat de la nourriture, à défaut de pouvoir se permettre de payer les factures qui ne portaient pas son nom. Contrairement à sa cousine, vivre au crochet d'Allan McArthur lui posait un réel problème. « J'ai bossé jusqu'à la fermeture aujourd'hui. Je te l'ai dit en plus ce matin. »

Et cette bonne vieille curiosité revint au galop, alors que la rouquine posa les yeux sur les nombreux papiers qui trônaient dans et autour de la corbeille en papier. Elle en prit un au hasard, déplia la feuille et la retourna entre ses mains jusqu'à trouver le bon sens de lectures. Elle lit les trois phases qui s'y trouvait avant de grimacer. Vraiment pas du grand Allan McArthur. Froissant à nouveau la feuille, elle la jeta par-dessus son épaule et en prit une autre, pour lui faire subir le même sort. Elle la déplia, trouva le sens de lecture et constata qu'il y avait bien plus de mots sur celle-ci. Elle était même remplie et un gros « Chapitre 3 » trônait en en-tête. Avait-il donc écrit plus d'une page au cours de la journée. Peut-être même plusieurs chapitres. Mais pourquoi étaient-ils dans la poubelle, alors ? Etaient-ils nulles à ce point ? Elle commença à lire à voix haute.

Elle ne releva même pas la réplique sur son père. Ce jeu-là était celui qu'ils détestaient le plus l'un comme l'autre. Une petite réplique, comme ça de temps en temps, par-ci par-là pouvait passer, mais pas une longue joute verbale comme ils en avaient l'habitude sur tant d'autres sujets, comme le travail, l'écriture ou le comportement d'Anna Maria ou de Gabrielle. La mort des êtres chers, c'était un sujet qu'on évitait de prolonger, autant que possible.

Lily ne laissa pas passer en revanche le fait qu'il lui avait arraché des mains un passage vraiment bon, avant de lui demander si on ne lui avait jamais appris ce qu'on disait de la curiosité. Depuis qu'elle habitait à Bright Falls, cette ritournelle passait définitivement en boucle dans toutes les bouches. Sheriff adjoint, oncle grincheux, simples habitants chez qui elle se retrouvait par inadvertance,... Bref, tout le monde. Elle fit alors un sourire digne d'une McArthur dans sa plus grand hypocrisie tout en s'affalant encore un peu plus dans sa chaise... enfin ça, c'était jusqu'à ce qu'il lui explique que les quelques lignes qu'elle avait eu le temps de lire était un bon jet qui avait été coupé par sa petite sœur. D'un coup, d'un seul, elle se redressa, s'asseyant correctement sur sa chaise, les bras posés sur le bureau et l'air furibond d'une Lily vraiment pas amusé du tout par la situation. « Quoi ? Gabrielle est malade ? » En général, la rouquine ne prononçait pas le nom de sa sœur en entier. Elle avait toujours tout un tas de surnoms affectueux, moqueurs ou un peu des deux pour parler de sa frangine. Utiliser « Gabrielle » était toujours signe d'une colère impressionnante ou d'une inquiétude non dissimulée. La dernière fois qu'elle avait interpellé sa sœur en utilisant la totalité de son prénom, ça avait été pour lui annoncer la mort de leurs parents. Et celle où elle l'avait employé face à Allan, ça avait été pour lui dire qu'elle ferait tout pour le bien de la brunette, quitte à aller s'emprisonner à Bright Falls alors qu'elle n'en avait absolument pas envie.

Avant qu'elle ne puisse le harceler de questions, il lui assura qu'elle allait mieux, mais qu'il irait voir la directrice de l'hôpital si jamais ça n'allait pas le lendemain. Appeler la directrice de l'hôpital n'avait rien de choquant en soit, ici à Bright Falls. Avoir un hôpital était déjà un miracle en soit. Inutile de compter sur un médecin en cabinet privé. Non, si on voulait se faire soigner à Bright Falls, il fallait aller voir les blouses blanches. Cependant, Lily ne fut pas rassurée pour autant. Elle allait mieux, selon les dire de son oncle, mais il y avait toujours une possibilité pour qu'elle ait besoin de voir un médecin. Inspirant pour trouver un peu de calme, elle continua de fusiller Allan du regard. « Qu'est-ce qu'elle a exactement ? » S'il avait dû s'en occuper une bonne partie de la journée, c'est que ça ne devait pas être aussi bénin qu'il semblait vouloir le faire croire. Et elle se fichait bien qu'il ne s'inquiète pas parce qu'il ne s'agissait pas de sa merdeuse de petite princesse. Il parlait de son ange à elle et elle avait besoin d'être rassurée. « Elle a de la fièvre ? Des nausées ? Est-ce qu'elle a pu dormir dans la journée ? Pourquoi tu ne m'as pas appelé ? Ça t'aurais tué de le faire ? » Les écrits du McArthur étaient vite passés à la trappe alors que les questions de la rouquine fusaient. Des questions dont les réponses ne lui serviraient à rien en plus. Elle n'était pas médecin, elle ne pouvait pas établir de diagnostic, ni de marche de manœuvre. Face à la maladie, Lily se sentait toujours si inutile. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle aurait dû être là, prendre soin de sa soeur. C'était son rôle après tout. Même si ça avait de grandes chances de n'être qu'un coup de froid. Elle devenait vraiment folle d'inquiétude dès qu'il s'agissait de Gabrielle. Elle est tout ce que j'ai..., songea-t-elle pour toute forme d'excuse.

Il y avait toujours eu cette... inimitié entre sa mère et son oncle. Petite, Lily s'en était beaucoup plains, ne comprenant pas. Elle avait un sens si aiguisé de la famille que voir les membres de la sienne s'entre-déchirer lui brisait son petit cœur d'enfant. Et puis elle avait grandi et avait pris goût au besoin de vengeance. Chaque pic, chaque insulte d'Allan envers sa mère ne méritait que son mépris en retour et elle avait cessé de demander à sa mère de faire des efforts envers son oncle. Elle ignorait tout des raisons qui faisaient qu'ils ne s'étaient jamais aimés, mais elle s'en fichait. Elle, elle avait aimé sa mère, profondément. Et elle ne supportait pas qu'Allan puisse dire du mal d'elle, de son père ou de sa petite sœur. Entre eux il y avait le jeu, l'envie de faire chier l'autre pour s'amuser, mais il y avait aussi une grande part de rancune, de colère à propos de non dit et de mépris. Parfois, Lily n'avait juste pas envie de voir le cœur tendre sous la carapace et ne pensait qu'à l'odieux personnage se dressant devant lui.

Son « grand progrès pour la science » acheva de mettre à mal la patience de la rouquine qui poussa un bruyant soupir en regardant les papiers au sol. « Si seulement tu étais capable d'écrire plus d'une phrase potable, tu en ferais un article sur cette immense découverte », asséna-t-elle en le regardant rejoindre la cheminée. Parfois, elle détestait vivre sous son toit. Encore heureux qu'elle n'eut pas entendu sa première phrase concernant sa mère. Elle n'aurait plus été maîtresse de ses actes.

Puis Allan redevint un peu humain, essayant de la rassurer, lui assurant que Gabrielle n'avait plus rien, qu'elle avait eu tous les symptômes d'un début de grippe, mais que maintenant, tout allait mieux. La rouquine n'était pas certaine de ce qu'elle devait faire, mais il poursuivit quand même, posant une main sur son épaule pour donner plus d'effet à ses paroles. Puis il alla se rasseoir à sa place. Elle le regarda boitiller, puis prendre des médicaments. Depuis qu'ils vivaient à Bright Falls, ses douleurs semblaient plus vivaces, plus insupportable. Ca n'avait fait que le rendre encore plus irritable. Lily n'était pas sûr cependant que se droguer aux anti-douleurs et à l'alcool soit une bonne idée. « Je sais que ça fait très artiste torturé, mais se crever à grand coup d'alcool et de médocs, même si c'est rock'n'roll, c'est pas la façon la plus agréable de se mettre en boite. », dit-elle au bout d'un moment. Tant qu'à faire dans le sentimental et dans l'inquiétude familiale, autant aller sur tous les front. Or de question cependant d'attaquer, ni même de s'inquiéter pour Anna Maria. Elle, elle pouvait crever la bouche ouverte... ou en cul de poule serait plus approprié dans son cas. « Chez Watson c'était psychosomatique », dit-elle en pensant à la nouvelle version anglaise de l'oeuvre d'Arthur Conan Doyle qu'elle avait regardé il y a peu de temps. « Un manque de l'adrénaline ou un truc comme ça. Dis, t'utiliserais pas ta jambe comme excuse pour pas écrire ? »

« Psychosomatique !? Tu connais ce mot là toi !? » Dit-il avec un ton moqueur. Comme si sa petite nièce était une véritable idiote sans connaissances ni-culture. Ce qui Allan le savait très bien était faux. Il était d'ailleurs très fière de sa 'fille adoptive' qui n'avait rien d'une idiote ! Bien au contraire ! Elle avait même l'air bien plus intelligente que cette petite chieuse d'Anna Maria, qui était pourtant la chair de sa chair, le sang de son sang. Enfin il oublia très rapidement sa fille pour ensuite poser ses beaux yeux bleus sur la jolie Lily McArthur. « Et malheureusement je tiens plus du Sherlock Holmes que du Watson ma petite nièce chérie... » Il est vrai qu'il était un véritable nid de connaissances et qu'au niveau talent il devait bien égalé le légendaire Sherlock Holmes. Et comme ce fameux Sherlock il n'était pas vierge de quelques addictions. Après ça il déposa sa canne contre le buffet placé à quelques mètres de lui, puis il commença à masser sa jambe blessée. Il bougea légèrement celle-ci avant de regarder la rouquine.

« Mais je suppose que si jamais ma jambe n'avait pas été en partie coincée entre mon fauteuil et l'avant d'un camion et que si une partie de cette même jambe n'était pas nécrosée ça aurait pu être psychosomatique ! Comme on dit tout est une question de point de vue tu sais... » Après cette remarque cinglante il avala une énième gorgée de Whisky et leva les yeux aux ciels. Et si c'était le moment !? Si c'était le moment de dire à Lily ce qu'il n'avait jamais oser dire !? Il avait l'impression que c'était le moment idéal pour le lui apprendre... Mais peut-être était-ce l'effet des cachets, de la fatigue et de l'alcool cumulés qui lui faisait penser une telle chose. Enfin tout en fixant le plafond il prit la décision de prendre son courage à deux mains et de raconter le pourquoi de cette haine envers Marika Song maintenant plus connu sous le nom de Marika McArthur. Très vite il attrapa son verre pour boire encore une gorgée, comme pour se donner du courage ! Car malgré son apparente confiance en soit... Il était horriblement stressé et horriblement apeuré ! Il redoutait même la réaction de sa tornade de nièce !

« Tu veux savoir pourquoi toi et ta mère ne nous sommes jamais entendus !? » Dit-il d'un ton froid tout en reposant son verre sur le meuble à coté de lui. Au fond de lui il espérait qu'elle allait lui dire que non, qu'elle s'en fichait. Qu'elle ne voulait pas connaitre ce secret de famille.

Lily avait une histoire difficile avec le système scolaire. Elle qui avait toujours suivi ses études sans encombre, qui avait rêvé d'entrer dans l'enseignement, avait tout abandonné du jour au lendemain suite au drame qui avait touché sa famille. Aussi, elle n'aimait pas faire étalage de ses connaissances et n'aimait pas montrer qu'elle était plus cultivée que la plupart des filles qui exerçaient la même profession qu'elle. Elle était serveuse. Qui s'intéressait au degré d'intelligence d'une serveuse ? Et puis elle n'avait rien pour prouver son intelligence. Elle n'avait même pas passé ses graduates, le diplôme sanctionnant le lycée.

Levant les yeux au ciel quand son oncle lui rappela qu'il était plus proche du Sherlock que du Watson, la rouquine reposa ses jambes sur le bureau de l'homme. Oui, définitivement, la vie destroy semblait être plus à son goût que l'écriture sereine. « Watson écrit, lui au moins », soupira-t-elle avec un léger sourire amusé. Oui, c'était une blague récurrente, qui sentait un peu le réchauffé, mais tant qu'il n'arriverait pas à pondre un nouveau roman, elle continuerait, quitte à ce qu'il en vienne à parler du meurtre sanguinaire et atrocement barbare d'une rouquine dont le prénom commence par un L. Au moins, il écrirait.

Ne pouvant retenir une grimace lorsqu'il lui expliqua dans quel état était sa jambe et comment elle en était arrivée là, elle évita soigneusement son regard en faisant mine de plonger dans le feu qui brûlait dans la cheminée. Elle écouta pour la première fois les circonstances exactes de l'accident, se remémorant le fait que son père était resté très vague sur le sujet, comme pour les préserver elle et Gabrielle. C'était probablement là l'un des rares défauts de son père, du moins à ses yeux d'enfants idolâtrant ses parents. Il voulait trop les protéger et ne leur disait pas tout. Pour Marika et Joseph McArthur, Lily et Gabrielle étaient restées, jusqu'à leur mort, leurs petites filles qu'il fallait préserver. Une attention qu'Allan n'avait pas, au grand soulagement de la rouquine pour sa part, mais qu'elle aimait moins quand cela concernait Gabrielle. Aussi, il ne prit pas de gants et lui demanda clairement si elle voulait connaître l'une des histoires les plus discrètes de la maison McArthur. Est-ce qu'elle voulait savoir pourquoi lui et sa mère avaient entretenu des rapports aussi houleux. Lily se redressa sur sa chaise en se mordillant la lèvre à cette question. Le voulait-elle seulement ? On ne lui avait jamais donné le choix de savoir. Ses parents lui cachaient les choses. Son oncle lui assénait les vérités sans tact ni manières. Mais jamais elle n'avait eu le choix. Elle réalisa alors combien il était difficile d'avoir le choix. D'un côté, sa curiosité à la limite de la maladie réclamait à grand coup de « oui » et de « bien-sûr »... mais elle n'était que l'enfant de Marika et Joseph McArthur. Et l'idée d'entendre quelque-chose qui serait très probablement déplaisant sur sa mère, alors que celle-ci n'avait aucun moyen de s'en défendre... Lily n'était pas certaine de pouvoir le supporter. « Dis toujours. »

Elle se figea sur place. Les mots étaient sortis tout seuls, indépendamment de sa volonté. Alors qu'elle réfléchissait encore à savoir si elle voulait ou ne voulait pas savoir, sa maudite curiosité elle avait dit oui. Et elle ne pouvait plus reculer maintenant. On ne défiait pas Allan McArthur pour se rétracter au dernier moment. Encore moins lorsqu'on était Lily McArthur.

L'écrivain au caractère de cochon regarda la jolie rouquine dans les yeux avant de lui dire : « Tu es sur de vouloir savoir !? », puis après ça le quarantenaire leva les yeux au ciel avant d'expirer d'une façon assez bruyante, puis d'avaler un nouveau verre de whisky. « Enfin je suppose que maintenant il est trop tard pour faire marche arrière... Donc commençons ! » Cette phrase fut évidemment suivit par une nouvelle gorgée de whisky, puis par un raclement de gorge. Tel un conteur ou un narrateur il se racla la gorge à plusieurs reprises afin de pouvoir, peut-être avoir un récit plus clair et agréable. Il devait bien ça à Lily qui n'allait surement pas écouter la plus belle histoire du monde. Bien au contraire. Enfin bref, après ces quelques minutes de préparations l'homme à la barbe de trois jours se cala assez confortablement dans son fauteuil avant de fermer les yeux.

Là et l'espace d'un instant il se retrouva propulsé en 1983. Année ou toute cette histoire avait commencé. Lentement il ré-ouvrit les yeux et fixa sa nièce avec un regard que celle-ci n'avait encore jamais dû voir. Toute l'arrogance, toute l'inhumanité du grand et terrible Allan McArthur avait disparu pour laisser transparaître une humanité presque bouleversante.

« J'ai rencontré ta mère en 1983. Soit un an avant ton père. Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était dans le New Jersey, lors d'une soirée étudiante organisée par une fille dont j'ai oublié le nom. Mais il s'agissait surement d'une énième pouffiasse, à l’ego plus gros que le porte feuille de ses parents et au talent quasi inexistant une pouffiasse qui avait dû publier un livre à la con sur un couple qui se rencontre dans le New Hampshire et qui décide d'aller élever des écureuils dans le Minnesota pour tester leur amour . Enfin bref c'était une conne sans importance et je n'avais dû allais à sa soirée que pour piquer de la bouffe et pour boire un coup. Mine de rien je m'en souviens très bien puisque lorsque j'ai rencontré ta mère je me souviens que la chanson "This Charming Man" de The Smith jouait les fonds sonores. »

Il s'arrêta un instant, puis jeta un coup d'oeil vers la cheminé comme pour fuir le regard de sa nièce. Il avala encore une gorgée de Whisky avant de continuer son récit. « Croit moi ou non le courant est vite passé. Faut dire que comme toi ta mère était pas moche et qu'elle ne ressemblait pas à toutes les p*tes en tailleurs échoués en littérature et rêvant d'écrire des histoires à l'eau de rose. Non, Marika avait plus d'ambition. Elle voyait plus loin. C'est ça qui me plaisait chez ta conne de mère. » Et oui 'conne de mère' comme si il se sentait obliger de rajouter une insulte dans une phrase apparemment élogieuse, comme si il voulait passer pour un connard même dans un moment pareil. « Bref, j'ai fini par sortir avec ta mère. Et oui croit le ou nom au lieu d'être ton connard d'oncle j'aurais peut-être pu être ton connard de père. Malheureusement je suis loin d'être quelqu'un d'humain et de sentimentalement parfait. » Il se mit ensuite à tapoter sa jambe 'malade' avant de se mordiller très légèrement la lèvre inférieur et de diriger ses beaux yeux bleus vers le sol en bois de chêne. « Un soir alors qu'elle était chez moi dans le New Jersey et que ... Je devais être stone à cause d'une drogue ou d'un alcool quelconque son téléphone à sonné pour lui informer que sa soeur, ta tante 'Lily' avait eut un terrible accident de voiture. Et qu'elle était entre la vie et la mort. Ta mère m'a supplié de l'amener à l'hôpital, mais trop fasciné par mon roman, l'esprit remplit d'inspiration je l'ai envoyé chier en lui promettant qu'on irait la voir le lendemain. Malheureusement pour moi ta tante décéda dans la nuit. Ta mère n'a jamais pardonné ma connerie et elle fut bien la première. Et évidemment Joseph en bon super héros vint la réconforter à ma place et on connait la suite de l'histoire. Et d'ailleurs c'est surement pour cela qu'elle a empêché ton père de venir me voir à l'hôpital le jour de mon accident. Il faut croire que j'ai toujours aimé jouer le méchant alors que ton père lui a toujours été destiné à avoir le rôle du héros ! »

Le boiteux en mal d'inspiration ferma longuement les yeux avant de soupirer tout aussi longuement et de terminer en disant : « Voilà tu connais l'histoire... »

Connaître la vérité, un pan de la vie de sa mère. C'était à la fois attirant, effrayant et... Mais elle voulait savoir. Il fallait qu'elle sache. Son seul problème était qu'Allan savait mentir comme il respirait. Avec lui, aucun moyen de savoir s'il disait ou non la vérité, si ça n'était pas un mensonge de plus. « Tu es sûre de vouloir savoir ? » Cette phrase tournait dans sa tête. Non. Non elle n'en était pas certaine. Pour être honnête, elle n'était certaine de rien. Mais sa bouche avait parlé trop vite et comme tous les deux le reconnaissaient, maintenant c'était trop tard pour faire machine arrière. Aussi l'écouta-t-elle exposer calmement le contexte de toute cette histoire. Et à chaque mot, son cerveau faisait des efforts considérables pour se rappeler si oui ou non, elle savait ceci ou cela.

Elle ignorait déjà tout de la première phrase. Elle avait toujours pensé que ses parents s'étaient rencontrés en premier, même si personne n'avait jamais parlé de quand et de comment son oncle et sa mère s'étaient connus. C'est juste que ça avait coulé de source. Elle savait que son père avait rencontré sa mère lors d'une des périodes les plus douloureuses de sa vie. Mais elle se souvenait de ça. Du fait que sa mère avait étudié dans le New Jersey. Son père y vivait aussi à cette époque. C'était là-bas qu'ils s'étaient connus et ça n'était qu'après leur mariage qu'ils avaient rejoint New York. Quand son père y avait obtenu un bon poste, avant sa propre naissance.

Essayant de découvrir s'il disait la vérité ou non, elle plongea son regard dans celui de son oncle et fut surprise d'y voir pour une fois une sincérité à toute épreuve. Aucun amusement, aucune hypocrisie, juste une sincérité qu'elle n'avait jamais vu dans ses yeux. Et ça plus que tout le reste lui fut insupportable, même avec ce qui suivit. Elle baissa donc les yeux pour écouter la suite, parce qu'elle savait, elle savait pour la première fois de sa vie, qu'il ne lui mentirait pas. Pas cette fois. Elle l'écouta raconter comment il avait fini dans cette soirée, comment il voyait les gens avec sa... gentillesse légendaire et comment il en était venu à accepter de converser avec Marika Song plutôt qu'avec n'importe quelle autre.

La rouquine serra les poings lorsqu'il appela Marika « ta conne de mère ». On ne parlait pas de ses parents comme ça. On ne parlait pas de sa famille comme ça. S'il n'avait pas été son oncle, son sauveur, celui qui lui offrait un toit et à manger tous les jours, nul doute que cela ferait longtemps qu'elle aurait foutue son petit poings sur le nez de l'écrivain avant de prendre ses valises et de disparaître... et encore, même en étant son oncle, sans Gabrielle, elle l'aurait fait aussi. Mais il y avait Gabrielle et elle ne pouvait se permettre de la mettre dans la merde ou de la laisser seule aux prises de ce crétin fini et de sa salope de fille. Il lui raconta leur idylle, jusqu'à ce fameux événement qui l'avait rapproché de Joseph McArthur. Ce tragique accident qu'avait subi Lily Song, la sœur de Marika, sa propre tante à elle, elle l'enfant qui portait le même prénom. Ses parents le lui avaient dit. Elle s'appelait ainsi en l'honneur de sa tante Lily, une femme adorable qui les avait quittés trop tôt. Une perte qui les avait fait se rencontrer. Et maintenant qu'elle y pensait, personne n'avait jamais précisé comment un tel drame avait pu leur permettre de se rencontrer. Ils lui avaient simplement dit : « Depuis son décès, Lily était devenue un prénom douloureux, alors que ta tante était une jeune femme joyeuse et adorable et que sa triste perte nous avait permis de nous trouver ta mère et moi. Il fallait que nous redonnions à ce prénom son bonheur d'antemps. Et tu l'étais, notre bonheur... notre Lily... » C'était ce que son père lui disait, lorsqu'elle était jeune. Elle serra un peu plus les points et regarda obstinément ailleurs, tout comme le faisait Allan, alors qu'il poursuivait, lui avouant qu'il aurait pu être celui qui aurait épousé Marika. Quand on voyait comment avait tourné sa famille, lui-même et sa fille, Lily était heureuse que ça ne soit pas arrivé. Que sa mère ait choisi Joseph plutôt qu'Allan, mais la rouquine ne dit rien, préférant écouter et se taire, regardant toujours ailleurs. La cheminée, la porte, le sol,... Tout sauf son oncle. L'ancien amant de sa mère.

Puis il lui annonça qu'elle connaissait toute l'histoire, qu'elle savait maintenant tout des rapports qui avaient existé entre eux et alors que la rouquine avait les yeux rivé sur la cheminée, elle sentit qu'une larme coulait sur sa joue. Pendant une seconde, elle fut soulagée que ça soit l'oeil qui tournait le dos à son oncle qui lâche prise en premier. Elle n'aurait pas supporté qu'il voit ses larmes. Inspirant profondément, fermant les yeux pour ravaler celles qui menaçaient le coin de ses iris, la rouquine se leva prestement de sa chaise et fit quelques pas, tournant le dos à son oncle pour essuyer sa joue, et passer une main légèrement tremblante dans ses cheveux. Son autre petit poing était toujours serré et elle se racla la gorge que pour sa voix ne tremble pas. « Alors le voilà, le grand secret de la famille McArthur. Voilà ce que mes parents ont toujours cherché à me cacher. » Elle était fière d'elle, sa voix n'avait pas tremblé et quand elle se tourna vers Allan, elle était plus déterminée que jamais. « Ce cher tonton Allan, dans sa grande bonté et sa grande valeur d'artiste torturé complètement drogué, a préféré écrire ses précieuses lignes plutôt que d'être là pour ma mère, de lui permettre de dire adieu à la femme qui comptait le plus pour elle et de vivre comme il le fallait, sans remords, le drame de sa vie ! Dire que pendant toutes ses années, j'ai cru que c'était mes parents qui avaient commit un acte irréparable. Que le remords que je lisais dans leurs yeux était parce qu'ils avaient fait quelque-chose de mal... » Animé par la rage et l'esprit de vengeance. Voilà comment on l'avait forgé pendant des années. Des années où elle avait dû défendre sa soeur, faire payer ceux qui la brisait. Si elle avait été à la place de sa mère, elle aurait fait pire que ne pas aller le voir à l'hôpital après son accident. Elle aurait probablement même fait pire avant. Si on ne lui avait pas permit de dire au revoir à Gab... Bon sang elle n'arrivait même pas à imaginer ce qu'elle aurait fait. Et dire que ses parents s'étaient sentit coupable de leur absence jusqu'à la fin de leur vie... Famille de mélodramatiques, pfff !

« Trouve moi conne, va-y. Considère moi comme une gamine qui ne comprend rien à la vie, qui ne mérite même pas ton attention. Fous nous à la porte Gabe et moi si ça peut te permettre de te sentir plus fort ou plus con, puisque visiblement tu aimes être un connard. Mes parents n'auraient pas dû se sentir coupable. C'est toi qui le devrait. J'ignore ce que Gabe voit en toi d'aussi bon, ce que tante Mary a pu aimé en toi... Mais tu as gagné. Tu me dégouttes. » Elle était fatiguée, en colère, triste aussi et tout se mélangeait. Les larmes menaçaient à nouveau au coin de ses yeux, prisonnière qu'elle était entre le manque de sommeil, la peine et la haine viscérale qui lui tordait les boyaux. A cette seconde, elle détestait son oncle plus que toute autre chose sur Terre. Il avait, une fois de plus, réussi à se rendre détestable aux yeux d'une des rares personnes à lui accorder du crédit.

Allan qui était jusque là affalé d'une façon nonchalante sur son grand fauteuil en cuir se redressa pour poser ses grands yeux bleus sur Lily et ainsi la fusiller du regard. La jolie rouquine avait dépassé les bornes elle avait parlé d'une chose qui l'a dépassait. Il prit ensuite un air faussement surpris avant de laisser s'échapper un « Oh !? » il plongea ensuite sa main dans une de ses poches pour en sortir son téléphone. Le célèbre écrivain fit ensuite semblant de le regarder avant de s'adresser à sa nièce avec un « Je viens de recevoir un SMS du fantôme de tante Mary... Elle t'emmerde ! » Le légendaire Allan McArthur n'aimait pas qu'on lui parle de sa défunte femme et surtout il détestait qu'on remette en doute sa relation avec elle. Il était fier de ce qu'il avait construit avec elle il plaçait d'ailleurs son amour pour elle et son mariage au dessus de nombreux autres sujets bien plus importants. Toujours assis sur son fauteuil l'écrivain avait cependant abandonné son attitude de légume pour adopter une posture plus correct. Plus droite. Comme si la réaction de sa serveuse de nièce l'avait fait passer à la défensive. Le dos bien droit comme un piquet il jeta un coup d'oeil au téléphone qui lui avait servit à envoyer chier l'Ultimate Ginger, puis il soupira avant de le jeter d'une façon négligée sur la petit chevet à coté de lui. Avec le temps et surtout avec l'énorme quantité d'argent qu'il avait gagné il avait apprit à ne plus faire attention à ses affaires. Après ça il attrapa sa canne et s'en servit comme d'un appuie pour se relever. C'est dingue. Malgré les médicaments et même malgré l'alcool cette fichue jambe le faisait horriblement souffrir. Sur le coup il se demanda même si son idiote de nièce n'avait pas raison. Si il ne souffrait pas de quelque chose purement et simplement psychosomatique.

Une fois debout et sans tenir compte de la douleur il s'éloigna de Lily lui tournant ainsi le dos. En quelques pas assez lents il se dirigea en direction de la grande baie vitrée de la maison. Il jeta un coup d'oeil à la forêt entourant la maison avant de se retourner tout en se raclant la gorge. « Et donc tu penses que ton vulcain d'oncle n'a pas voulu aller à l'hôpital pour pouvoir finir seul et malheureux ? Tout ça pour pouvoir continuer à jouer aux poètes maudits et pour se complaire dans sa solitude et dans sa mauvaise humeur ? Mes félicitations Miss McArthur ! Vous êtes une enquêtrices de génie ! Tu ferais mieux d'aller t'inscrire au FBI au lieu de t'entêter à vendre des Clubs Sandwichs et des bières dans un bar de campagne ! Tu ferais un malheurs futée ! » Après ça l'oncle de la jeune fille s'approcha d'elle en tapant lentement des mains des mains. Une fois derrière Lily il la regarda du haut de son mètre quatre vingt huit. « Mais tu oublie un point important la maligne ! Si je veux absolument être seul et triste alors pourquoi... » Il approcha ensuite son visage de celui de la jeune fille avant de lui dire dans le creux de l'oreille : « Pourquoi est-ce que j'ai pris le temps de te réceuillir toi et ta soeur ? Pourquoi est-ce que je m'entête à vous traîner avec moi dès que je vais quelque part ? » Il s'éloigna plus ou moins de la jeune femme avant de se diriger vers la cuisine son verre à la main. Au même moment il lança un : « Oui pourquoi Professeur Salomé Freud ? »

Elle ne réagit même pas à sa pique concernant son téléphone. C'était bien le genre d'Allan de faire ça. Pourtant, cela eut pour effet immédiat de la calmer un minimum. Parler des morts, les remettre en cause, les affronter. Ça lui faisait toujours la même chose. Il ne fallait pas jouer trop longtemps sur ce tableau-là et le fait même qu'il le fasse montrait qu'elle allait trop loin. Le cœur de la rouquine loupa un battement, à moins que sa respiration ne se soit coupée la première. Ce qu'elle sait, c'est qu'elle se mit à trembler et qu'il fallu qu'elle se raccroche au meuble le plus proche. Heureusement qu'elle n'était pas loin, elle n'eut qu'à s'appuyer pour tenir le temps de cette seconde de malaise, sans que cela ne se voit vraiment. Elle se redressa malgré tout d'un seul coup, comme brûlée par le meuble, incapable de s'affaler alors qu'Allan lui se tenait bien droit.

Elle le regarda se diriger vers la baie vitrée et ne dit mot, ne bougea pas d'un pouce, attendant la suite. Il regarda un instant dehors, puis se retourna en se raclant la gorge, se moquant d'elle et de sa grande intelligence. Puis l'écrivain s'approcha d'elle, lui demandant alors ce qu'elle pensait de son comportement. De ce qu'elle pensait vraiment qu'il était capable de faire. Si tout ce qu'il avait fait jusqu'à aujourd'hui allait dans ce sens, celui de se faire détester de tous et par tous, de se complaire dans sa misère, sa solitude et sa tragédie d'écrivain délabré, pourquoi les accueillir elle et sa soeur. Pourquoi leur offrir un toit, une assiette pleine tous les jours, tout ce dont elles avaient besoin et presque tout ce dont elles avaient envie ? Ses mots murmurés à l'oreille firent frissonner la jeune rouquine, mais dès qu'il s'écarta, elle se secoua et haussa les épaules, croisant les bras, comme sur la défensive. Il le regarda se diriger vers la cuisine et le suivit malgré elle. Parce que cette conversation n'était pas terminée, elle ne pouvait pas l'abandonner là et monter se coucher, malgré l'envie de plus en plus intense de retrouver ses draps.

« Tous les artistes maudits ont besoin d'un public direct, non ? Pour assister à leur déchéances et les plaindre. », dit-elle en se mouvant comme une ombre derrière son propriétaire. Alors qu'il posait son verre sur le plan de travail, elle tira la chaise la plus proche et s'y installa. « C'est pas ta pouffiasse de fille qui comblera ce besoin d'attention. Tes nièces, si gracieusement recueillies, au moins, elles s'en sentent obligées. » Elle se releva de sa chaise et alla chercher un grand verre dans le placard, puis une bouteille de lait dans la porte du réfrigérateur. Se servant donc un verre dont elle bu une gorgée, la rouquine regarda à nouveau son oncle. « Et Gab', pauvre petite larves sans âme et sans saveur, te regarde comme le dieu maudit que tu rêves d'être, tu dois exulter. »

« Tu fais fausse route. » Dit-il tout en s'approchant de Lily. Silencieux pendant quelques secondes le célèbre écrivain se contenta de saisir le verre de lait de sa nièce sans rien lui dire et d'en boire une gorgée. Même si il n'aimait pas le lait et qu'il trouvait le simple fait d'en boire assez gamin il ne pu s'empêcher de boire une bonne partie du verre. Rien que pour se faire disparaître le gout pâteux d'alcool qui avait fini par lui envahir la bouche. Il fit ensuite quelques grimaces à cause de l'aigreur du lait avant d'enfin reprendre : « Ta soeur est loin d'être une larve sans âme et sans gout. Bien au contraire. », sentant que sa jambe n'allait pas tarder à refaire des siennes il posa sa main sur le plan de travaille de façon à s'appuyer sur celle-ci, puis il utilisa son autre main pour attraper une nouvelle fois le verre de lait à moitié vide et le finir. Sans un mot. Sans un merde ni même un merci. Du Allan McArthur tout craché. Après ça il s'approcha encore de sa nièce sans pour autant perdre son appuie et donc lâcher le plan de travail. Comme à son habitude il la regarda droit dans les yeux et se tue pendant quelques secondes. « Gabrielle et moi sommes semblables sur bien des points. En fait une seule grande chose nous rend si différents ! » Tout en sachant très bien que sa déclaration allait faire l'effet d'une bombe auprès de Lily qui vouait un véritable culte à sa soeur et qui semblait véritablement haïr son père adoptif d'oncle. Celui-là même qui fit silence le temps de la regarder dans le blanc des yeux, comme pour y voir une quelconque réaction. Mais se silence ne dura pas bien longtemps. L'espace d'une longue minute. Après ça l'ego du vieil homme reprit le dessus et l'obligea à reprendre la parole assez rapidement.

« Quand la gentillesse de ta soeur l'oblige à ne voir que le bon coté des gens. Mon intelligence m'oblige à ne voir que le mauvais coté de ceux-ci. Je ne peux rien voir d'autres. Rien de plus. » Il attrapa ensuite la brique de lait dans le frigo et remplit de nouveau le verre avant d'en boire une gorgée, de le reposer et de le faire glisser le long du plan de travail en direction de la rouquine en face de lui. Puis tout en se frottant les yeux comme pour se tenir éveiller il reprit : « Mais bon... si tu ne veux jouer les spectatrices alors fait comme ton père chère Lily Salomé McArthur. Devient l’héroïne de cette drôle d'histoire qu'est ma vie ! » Il s'approcha ensuite de cette fameuse Salomé puis il déposa ses deux mains sur les deux épaules de celle-ci avant de la regarder de toute sa hauteur et de lui dire : « Sauve moi Lily McArthur. Fait moi changer. Fait de moi un homme meilleurs. Fait ton possible pour ça. Je te promet que je ne ferais rien contre toi... Je resterais simplement moi même. Mais si tu ne veux pas être une simple spectatrice prouve moi que tu es bien la fille de mon frère et que tu peux être plus qu'une jeune fille qui regarde et qui raconte... »

Elle ne dit rien lorsqu'il lui répondit qu'elle faisait fausse route, quand il la contredit sur la vision qu'elle pensait qu'il avait de sa sœur. Tout comme elle ne dit rien lorsqu'il prit son verre. Elle savait qu'il le buvait pour la faire chier, qu'il n'allait pas bien le digérer et que c'est lui, plus qu'elle qui en serait malade. Elle se contenta donc d'aller chercher un autre verre qu'elle ne rempli pas pour le moment. Elle manqua de faire tomber l'objet quand il s'exclama qu'ils se ressemblaient plus Gabrielle et lui, qu'elle ne le pensait. Mais de quoi parlait-il ? Vivement, la rouquine se tourna vers son oncle, attendant qu'il poursuive. Celui-ci plongea dans ses prunelles, tout en expliquant où il voulait en venir. Pour Lily, là était toute la différence. Là était tout ce qui faisait qu'ils ne se ressemblaient pas. Et égoïstement, alors qu'elle n'arrêtait pas de dire à sa petite sœur qu'il fallait qu'elle grandisse et arrête d'être utopiste, elle espérait que jamais elle ne comprendrait la vie et ne la verrait comme elle. Que jamais elle ne se rapprocherait de la vision du monde d'Allan McArthur.

Puis le ton changea à nouveau. Allan termina le verre, le re-rempli et le lui lança en le faisant glisser sur le plan de travail. Elle l'attrapa au vol, posant l'autre, vide, à côté, regardant toujours son oncle dans les yeux. « Si tu ne veux jouer les spectatrices alors fait comme ton père chère Lily Salomé McArthur. Devient l'héroïne de cette drôle d'histoire qu'est ma vie ! », s'exclama-t-il avant de s'approcher d'elle, lui demandant de le sauver, lui assurant qu'il ne lutterait pas, lui réclamant de ne pas être une simple observatrice, comme elle l'avait toujours été. Et une fois de plus, elle n'assuma pas son regard, baissa les yeux, incapable de l'affronter. L'aider, le changer, le sauver de lui-même ? Le pouvait-elle seulement. Elle ne savait même pas comment s'y prendre. Elle ne savait même pas s'assumer et assumer sa sœur, alors assumer le mental d'un type complètement déglingué...

« Ne te joue pas de moi, oncle Allan », dit-elle, pas en le suppliant, parce qu'elle en était bien incapable, mais avec un nom qui était plus que clair. Oncle Allan. Ça faisait tellement longtemps qu'elle ne l'appelait plus comme. Alors ainsi, malgré son ton froid, malgré l'absence de regard, malgré tout, ceux qui, comme l'écrivain, connaissaient un minimum la rouquine, savaient qu'elle était redevenue l'espace d'une seconde la petite fille qui avait besoin d'un adulte pour s'occuper d'elle. Qui ne pouvait pas assumer de front toutes les choses qu'une adulte pouvait assumer, toutes les choses qu'elle assumait pourtant déjà en permanence. Ça prouvait qu'elle ne parlait pas pour se moquer, mais qu'elle était sincère. « Ne dis pas ce genre de choses si c'est l'alcool qui parle et si demain tu seras contre moi. Si tu dis ça uniquement pour que je la ferme jusqu'à la prochaine fois. Ne m'oblige pas à une croisade perdue d'avance. »

« Malheureusement pour moi je suis trop intelligent pour que l'alcool ait un quelconque effet pour moi. Je suis trop intelligent pour qu'il me fasse oublier. Pour qu'il me fasse oublier quoique ce soit. Hors j'ai tellement de choses à oublier. C'est surement ça le grand drame de ma vie ! », après ça le célèbre écrivain laissa s'échapper un long soupire de découragement. Pour la première fois depuis longtemps il avait osé avouer l'une de ses plus grandes faiblesses à un membre de sa famille. Chose qu'il n'avait fait qu'à l'époque ou son frère était encore en vie et ou il lui parlait encore de bon coeur. Cette époque ou son frère ne le considérait pas encore comme un espèce d'idiot asocial, mais bien comme son frère. En regardant sa nièce le vieil auteur de polars à succès ne pouvait pas s'empêcher de voir son frère. Il ne pouvait pas s'empêcher de la craindre. Ou plutôt de craindre son caractère si proche de celui de Joseph. On dit souvent tel père tel fils. Mais dans le cas de Lily et Joseph McArthur l'expression tel père telle fille était plus exact. Lily avait hérité du caractère de cochon de sa mère, mais surtout du courage et de la détermination de son héros de père.

« Enfin qu'est-ce que je suis en train de te dire là !? Tu n'es qu'une gamine... Tu ne peux pas comprendre ! » le grincheux le plus célèbre de toute l'île de Bright Falls prit ensuite sa tête entre ses mains avant de marmonner quelques mots presque incompréhensibles... Puis de soupirer assez longuement. Il releva ensuite la tête pour regarder sa nièce. Cette fois-ci il ne la regardait plus de haut ; il la regardait comme l'enfant qu'elle était. Puis comme adoucis par l'effet de l'alcool et des médicaments il attrapa il fit glisser son bras le long des hanches de la jolie Lily pour ensuite la serrer contre lui. Un geste inédit, dont il ne revenait pas lui même. En presque quatre ans il ne l'avait jamais prise dans ses bras et même sa fille Anna Maria n'avait eut la chance de connaitre ce genre de signes d'affections que quelques fois dans sa vie. Il approcha ensuite sa bouche de l'oreille de la rouquine ultime avant de lui dire : « Désolé d'être aussi con ! » Une phrase qui allait surement surprendre la petite Lily voir même lui provoquer une bonne petite crise cardiaque ! Enfin bref le moment de douceur ne dura pas très longtemps puisque Allan la repoussa assez rapidement avant de faire quelques pas en arrières puis se s'appuyer une nouvelle fois sur le plan de travail. Il grogna ensuite quelques mots dans sa barbe avant de refaire quelques pas en arrière il regarda ensuite Lily encore surpris du geste qu'il venait de faire et lâcha « Bon l'alcool me fait faire des conneries... Va te coucher McArthur. »

Intelligent ? Allan McArthur l'était. Voilà une chose dont Lily n'avait jamais douté. Elle connaissait son oncle, elle savait de quoi il était capable. Elle ne dévorait pas ses livres pour rien, mais si elle vous dirait que ses deux, voir trois relectures de chaque livre était uniquement contraintes par le fait qu'elle vivait sous le même toit que l'écrivain et se devait donc d'être incollable sur les livres et sur ses détails les plus importants. Cependant, elle doutait que l'alcool n'ait aucun effet sur lui. Elle voyait bien son regard brillant, elle entendait bien ses mots qu'il était incapable de dire d'ordinaire et elle avait du mal à croire que c'était l'heure tardive et ses beaux yeux de rouquine qui le rendait d'humeur si... humaine.

Elle retrouva vite son oncle, cependant, lorsqu'il s'exclama que de toute manière, elle n'y connaissait rien. Elle n'était qu'une enfant. Enfin, le retrouver, c'est vite dit. A la manière dont il lui dit cela, elle se posa même la question. La regardait-il comme... son oncle aurait dû le faire ? Avait-il le regard aussi doux qu'elle en avait l'impression ou était-ce simplement parce qu'elle avait l'habitude qu'il la regarde avec toute sa haine après des mots déplacés qu'elle aurait dit ?

Avant qu'elle n'ait eu le temps de réagir, Allan la prit dans ses bras et elle ne parvint à retenir un petit cri de surprise, avant que ses bras ne se referment machinalement sur le cou de son oncle. Pas vraiment qu'elle ait eu l'envie de répondre à son étreinte - pour ça, il aurait d'abord fallu qu'elle réalise qu'il était en train de l'enlacer - mais par pur réflexe. Parce que si peu de personnes la prenait dans ses bras que lorsqu'ils le faisaient, elle avait envie de ses étreintes en retour. Son corps s'était adapté en réflexe, répondant tout seul à ce geste qu'elle n'avait... jamais connu de la part de son oncle. « Désolé d'être aussi con ! », lui dit-il ensuite à l'oreille, faisant éclater son cœur. Elle avait l'impression de manquer d'air, pour la deuxième fois de la journée. Bon sang, il fallait qu'il arrête de jouer comme ça avec ses nerfs.

Avant qu'elle n'ait vraiment réalisé tout ça, il se détacha d'elle, s'expliquant par l'alcool, avant de lui intimer d'aller se coucher. Lily baissa les yeux, sentant quelque-chose de froid lui chatouillant la joue. Elle porta une main à celle-ci et se rendit compte qu'elle essuyait une larme. Une larme ? D'où venait-elle ? D'elle-même ? Pourquoi je pleure ? Elle secoua la tête, ramena ses cheveux en arrière et se racla la gorge. « Oui heu... Vas te coucher aussi. Il est trop tôt pour bosser. » Baissant la tête, elle prit le verre de lait qu'elle n'avait même pas bu, l'avala d'une traite et posa de verre dans l'évier avant de quitter la cuisine, sans regarder son oncle. Arrivée sur le pas de la porte, elle posa les yeux sur lui à nouveau. « Tu sais quoi. Tu devrais arrêter de prendre toutes les saletés que t'ingurgite et être comme ça plus souvent. Je commence à croire que Gab' n'a peut-être pas complètement tort. »

Elle ignorait comment il allait prendre cette dernière phrase et ne bougea pas comme elle l'avait décidé au début. Elle voulait trop savoir ce qu'il allait en penser pour quitter la pièce et le laisser cogiter là-dessus comme elle en avait eu l'intention au début. Il cogiterait plus tard, elle le lui rappellerait et lui laisserait le temps de la réflexion.